lundi 13 décembre 2010

Chemin de f... antasme



Pérou, dans le train retour du Machu Pichu, novembre 2008.


(...)

Je souris à Octavio. De la fatigue nerveuse je passe à la fatigue tout court. Je suis complètement naze, kaput! Je baisse ma garde naturellement. Une espèce de calme mêlé de maturité se dégage de lui... Et la sérénité m’envahit, enfin. Je me laisse bercer par «toudoum» de la locomotive sur les rails, je crois que rien au monde ne m’est plus agréable que cette sensation pour m’abandonner aux bras de Morphée. Pour être totalement sincère, cela relève même d’une toute autre dimension : le train est mon plus grand fantasme!



Cela remonte à quelques années auparavant, je ne devais pas alors avoir vingt ans et j’allais visiter des parents à Reims. Je me souviens que c’était en hiver car à l’aube il faisait encore nuit noire. Pour rentrer à Paris je montais dans un train aux alentours de six heures du matin. Surprise! C’était un train compartimenté et je me retrouvais dans une cabine de six places.

A cette époque, les compartiments me rappelaient les départs au ski - gamine - en train couchette ; je n’avais pas encore parcouru l’Europe de l’est avec ma carte Interrail ni la Russie en Trans-Sibérien... Une fois - je devais avoir cinq ans - j’avais même failli oublier mon nounours rose, offert par une voisine à mes quatre ans, sur les petons duquel sont brodés les mots «Love» et «me». (J’emploi le présent car bien sûr, malgré quelques rides et un pelage bouloché, mon fidèle compagnon trouve toujours sa place, bien calé sous mon bras droit, chaque fois que le soleil s’en va réchauffer nos amis diamétralement opposés!) Je revois maman, affolée devant ma mine dépité et mes lèvres tremblantes de chagrin, me laisser sur le quai avec mon petit frère et remonter en trombe pour sauver mon protégé de l’abandon. Quelle héroïne!


Dans le coin contre la fenêtre à gauche il y avait un mec, châtain clair, d’une trentaine d’année. Je me souviens de sa barbe de quelques jours et de son sourire mâle. Il avait un bonnet noir solidement amarré sur des cheveux plutôt courts et un manteau, noir également, remonté jusqu’à la pomme d’Adam. Sur la rangée d’en face - siège du milieu - il y avait une jeune femme, elle aurait eu vingt-sept ans selon moi. Elle était emmitouflée dans une doudoune noire à ceinture et une écharpe en tissu mauve, avait un visage longiligne, et des cheveux mi-longs bruns. Elle avait l’air accessible et gentille. Je m’assis du côté du gars mais sur le troisième siège : position stratégique qui me permettait d’allonger mes jambes et de reposer ma tête contre le mur adjacent à la porte. Les rideaux étaient ouverts et la lumière éteinte lorsque j’arrivais, mais l’éclairage de la gare suffisait à s’installer confortablement sans trop déranger la quiétude des deux passagers déjà accommodés. Le flegme de l’aurore conférait une atmosphère de calme et de sérénité dans laquelle il était bon de s’immiscer. Quelques minutes plus tard arrivèrent un monsieur et une dame : monsieur car il était en costard noir plutôt bien coupé, voire sexy il faut l’avouer, et dame parce qu’elle était généreusement ronde et avait l’air d’avoir enfanté à plusieurs reprises. Il s’assirent respectivement en face du mec et de la nana. Mon confort était sauf!

Ils firent un peu de grabuge, la femme surtout, et lorsque le calme retomba, quelqu’un - je ne souviens pas vraiment qui, le barbu peut-être - demanda si cela ne dérangeait pas que l’on éteigne la lumière (l’interrupteur ayant été actionné, à son arrivée, par la madone).

Tous feux éteints et rideaux tirés, la locomotive se mit en branle. Comme unique source de lumière ; une timide veilleuse au dessus de la fenêtre qui ne permettait que de distinguer les silhouettes de mes colocataires éphémères. Depuis le début j’observais ce manège les yeux mi-clos, la tête rentrée dans les épaules, à peu près calée contre la paroi voisine. Mais lorsque le calme fut total mes sens se mirent en éveil, j’ouvris grand mes billes pour scruter chacun des passagers, affutai mes oreilles pour essayer de distinguer leurs respirations et m’abandonnai toute entière aux soubresauts réguliers de la rame. Soudain, le vice s’empara de moi comme la tempête de neige prend Paris d’assaut : sans préavis.

Je m’attardai sur la pince stricte du pantalon de l’homme d’en face qui tombait, bien droite, sur d’élégantes chaussures de cuir noir en laissant entrevoir de fines chaussettes parmes assorties à sa chemise. A partir de ce détail j’imaginais la prolongation de sa jambe ; un mollet aux poils virils et aux muscles fins et marqués. Je voyais mon doigt s’insinuer délicatement sous le plis de l‘habit et remonter tout doucement, effleurant la peau, entortillant quelques boucles, avant de venir provoquer cette partie qui rend fou, juste là sous le genou, où la peau est tiède, douce et menue: le creux poplité. Puis, à pleines mains j’empoignais ces deux cuisses bien dures que je malaxais à la manière d’un chat, faisant mine d’y planter mes griffes mais en les rétractant juste avant de pénétrer la peau. Mes doigts espiègles suivirent ensuite le liseré d’un boxer marron foncé bien ajusté, feignant d’explorer l’intérieur de la cuisse mais s’échappant rapidement pour découvrir les contours extérieurs de celle-ci. Je parcourais d’un doigté aérien presque toute la circonférence de la jambe ressentant la chaleur de la peau et me délectant toujours de la pilosité de la surface et de l’aspérité délicieuse générée par celle-ci. Je remontais sur le sommet de la jambe et m’avançai quelques millimètres plus haut crispant à nouveau mes doigts comme pour assurer ma prise. Ce petit manège affola mes sens et me poussa vers l’épicentre de son ardeur. Très lentement, armée d’un faux calme provocateur, j’atteignais le coeur de la fournaise, le volcan en... érection.


Rose!


Il fallait à tout prix que je chasse ces pensées de la braise me servant de cervelle à cet instant. En effet, la seule idée de l’exquise douceur mêlée à la chaleur et à la fermeté du levier de plaisir dans mes mains, déclenchait tous les rouages de mon excitation entraînant mon cou, ma bouche, ma langue, mon nez, mes joues... et embarquait indubitablement la matrice de ce tout, déréglant l’irrigation de mon jardin secret!

Ce court plaisir - affabulation totale de mon esprit - laissait alors place à la frustration ; intenable et inacceptable. Supplice!


Mais que faire? S’ouvrir le crâne pour y balancer un seau d’eau? Supporter la frustration tout en savourant l’excitation? Ne rien faire?


J’essayais chacune de ces solutions, pour finir par retenir ma respiration et fixer le plafond... avant que mon regard ne se pose sur le mec au bonnet. Lui à priori ne me ferait point flancher ; plutôt petit, plutôt blond, pas le genre de mec à ma faire chavirer, je ne prenais gare. Mais à force de le scruter, et alors même que son visage ne laissait s’échapper aucune expression puisqu’il somnolait, je fus troublée par sa présence, il y avait du mordant dans la sérénité de ses traits endormis : du chien! Oui c’est cela, il avait du chien. Il me faisait le même effet que le chanteur Bénabar ; ni petit ni grand, ni maigre ni gros, ni moche ni beau, un peu trop pâle d’yeux et de peau, apparemment trop sage... mais avec le charisme d’une statue grecque qui le rendait absolument désirable et irrésistible!


Rassasiée de préliminaires avec son voisin d’en face, ce furent des scènes sauvages que je m’imaginais dans la pénombre et le ronronnement de la rame : des tringles qui se décrochent, un rideau bordeaux au tissu rugueux qui me tombe sur la figure, nos mains qui s’emmêlent autour des barres froides des porte-bagages et sur lesquelles on entend tinter mes bagues, la peur que quelqu’un rentre dans le compartiment, nos cris étouffés, notre bestialité...


Rose! Rose!


Je crois que la promiscuité du compartiment, la lumière un rien glauque et tamisée de la petite veilleuse, le design désolant du train, le refrain lancinant du wagon chevauchant les rails comme un bécarre sur une porté, ou la sensation de lévitation si propre au voyage par voie ferrée m’ont égarée : moments de vie en suspens, ni là ni là-bas, tout doucement, secondes volant comme une plume de colombe tombant d’un platane. Cette ambiance démultiplia mes sens qui à leur tour révèlent mon essence ; jeune fille vivante, jeune femme brûlante qui découvrait ses envies et manigançait ses folies! Qu’il était bon de se choquer, pour lutter, puis finir par abandonner, accepter, et se laisser aller.



Sur le souvenir de mes première tribulations érotiques je m’assoupis, tranquille et grandie.

Je dors une dizaine de minutes à peine. Mes yeux s’ouvrent par hasard sur ceux d’Octavio, déjà posés sur les miens. Il était en train de me regarder, comme s’il me guettait.

(...)

2 commentaires:

stéphanie c. a dit…

Rhôô bas dites donc...;-)
Si tu aimes la littérature - de près ou de loin - ferroviaire, je te conseille "Incident de Personne" d'Eric Pessan. Pas ultra joyeux mais bien écrit, moi j'ai bien aimé.

jose l. sánchez-garrido garcía a dit…

Anne,
he traducido como he podido tu texto. Y me ha encantado!. Como siempre.
Muchos bsos!

AddThis

Bookmark and Share