jeudi 20 janvier 2011

Le temps d'un prélude


Avant de commencer à lire ce texte, il est impératif de lancer la vidéo ci-dessous!


Je sortis errer dans le village. Je devais aller à la poste, c’était là mon unique impératif.


Je marchais lentement en ressentant chacun de mes pas sous mes pieds, en humant les mille odeurs empruntées au désert par le vent, en tendant mes joues au soleil et en faisant quelques cabrioles à l’ombre du faux-poivrier de la place principale ; un grand arbre aux allures de saule pleureur parsemé de fleurs roses et légères à l’odeur poivrée.


J’écoutais le prélude en mi mineur, Op 28, N. 4 de Chopin et j’avais envie de m’entortiller dans les branchages du Grand Arbre. J'avais envie de laisser les tiges lasses feindre de m’étrangler en caressant mes pommettes, envie d’accompagner cette vertigineuse dégringolade de la paume de ma main, de saisir entre deux doigts les petites feuilles tendres et vertes en forme d’amande, et de les masser en formant des petits cercles.


Je voulais être une danseuse étoile avec son tutu rose pâle, ses collants scintillants et ses belles pointes - ô femmes qui incarnent la douceur, la délicatesse et la force! Je voulais faire l’arabesque, étirée par les frêles lianes du Grand Monsieur, tourner sur mes pointes le dos cambré, laisser la grâce envahir mon corps jusqu’au bout de mes ongles : tourner, virer, virevolter...


J'allais renifler la quiétude du solide tronc de bois, l’entourer de mes bras, poser ma joue tout contre lui, le caresser d’un battement de cils, lui murmurer qu’il était beau, fier et solide, le serrer fort pour qu’il entende ma musique, le remercier de cette communion, de sa bienveillance et de sa protection.


Si j’étais un homme j’aurais le béguin pour les étoiles.


Depuis que mon père est parti je fais des câlins aux arbres.


Deux minutes trente-deux : ce fut le temps de la trêve, le temps de ma danse imaginaire plantée bouche ouverte, tête renversée et yeux en l’air sous le Grand Arbre. Le temps d’un prélude.



1 commentaire:

Abraham a dit…

Sublime, écrit par quelqu'un avec une sensibilité profonde, délicate mais forte au même temps. Bravo !

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