lundi 7 février 2011

Monte Cristo n°4



Elle dansait, parmi les fous.

Longue sérénade lascive.

Elle dansait, tutoyant le Créateur et caressant, de ses doigts graciles, l’air sculpté par la mélodie. Les boucles tombaient en colimaçon sur sa chevelure qui dansait, elle aussi. Le ballet des mèches indisciplinées se cambrait en arabesque au dessus de sa nuque chaude. Les anglaises, humides, s’entortillaient autour des longues créoles qui ornaient ses oreilles et parfois, fouettaient timidement les joues d’un partenaire maladroit.

Les semelles de ses escarpins polissaient le parquet d’un geste soyeux quand soudain, une latte rebelle retint son talon, immobilisant sa jambe, tandis que ses hanches continuaient d’onduler.


Elle était prise au piège.

Patatras!


Elle entendait déjà le bruit sourd d’un corps qui frappe le sol à la vitesse d’un aigle en piquée.

...


Les yeux clos pour ne pas assister à une telle disgrâce, elle n’entendit point le vacarme de sa chute. La course folle de sa tendre chair termina entre les mains cannelle d’un homme qui la retenaient tel un souffle.


La musique cessa.

Puis reprit d’un air nouveau.


La jeune danseuse et son cavalier mulâtre prirent place sur les planches. Elle se rappela les paroles de «Los Van Van» :


Colon arriva en mille quatre cents

Il découvrit cette île magnifique

Où habitait la race Indienne

Celle qu’avec le temps il extermina

(usurpateurs!)


La race Africaine arriva

Il la mélangèrent avec l’Espagnole

Naquit la métisse créole

La Cubaine

(c’est sûr que oui!)


C’était un mélange différent

Plein de saveur

Accompagné de la rumba et du «guaguanco»

Maître de la «clave»

Et de la magie du trois plus deux

Qui nous rendit si spéciaux

(savoureux!)


Ainsi c’était pour lui...


Mais elle apprit qu’il avait été l’amant d’une demoiselle peu fréquentable et rejeta toute nouvelle tentative d’approche.


Lorsqu’elle prit congé, repue de voltes et de révérences, il lui glissa un numéro. Croyait-il à une aubade de son téléphone? C’était bien mal la connaître. Elle était cavalière, point monture docile!


Deux semaines passèrent dans un silence réciproque. Au hasard d’un plancher ciré et d’une charanga sucrée, ils se retrouvèrent.


«Solennels parmi les couples sans amour, ils dansaient, d’eux seuls préoccupés, goûtaient l’un à l’autre, soigneux, profonds, perdus. Béate d’être tenue et guidée, elle ignorait le monde» écrivait Albert Cohen.


Il commit l’indélicatesse de l’inviter à troquer la piste contre le zinc. Ce fut un rejet catégorique. Il insista, elle ne démordit point. Comme elle était haletante et transpirante, il échangea en bord de piste une bouteille d’eau glissante de fraîcheur contre un sourire reconnaissant.


Ils dansèrent encore.


Il insista,

encore.


Non, elle n’abandonnerait pas le bois qui la faisait braise pour un vulgaire Mojito!


  • - Fumes-tu le cigare?


Elle crut mourir.


Bien sûr qu’elle fumait le cigare : sous son chapeau, de l’autre côté de la terre.


Ils partagèrent un Monte Cristo n°4, le cigare du Ché.

Ils partagèrent un baiser,

puis deux.

Ils partagèrent une nuit,

puis deux.


Ils partagèrent également leur savoir. Elle fit la connaissance des Orishas, divinités afro-caribéennes personnifiant la Santeria. Elle apprit qu’Ellegua ouvrait les portes du destin, que Changó personnifiait la danse et le feu, Oshún l’amour et la fertilité.


Elle se délecta de la pureté du sommeil gardé par les bras d’un homme au goût d’épice.


Enfin, il partagea son secret :

il avait une fiancée.


Alors elle fredonna l’air de Johnny Rivera et Ray Sepulveda :


A ce pauvre coeur

Qui court après la tendresse

A ce coeur maladroit

Innocent comme un enfant

Romantique et rêveur

Galant et aventurier

Qui me fait souffrir

Qui me fait pleurer

Ca ne vaut pas la peine de s’enamourer.


Et tourna les talons.



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